Sur la voie du Mont-Blanc Express

2010.02.09 Janvier, le mois du blanc.


"Une Z 850 en stationnement aux Houches"

Et oui, déjà un mois depuis ma dernière bafouille ! Non pas que mes journées soient devenues répétitives au point de ne rien apporter d'intéressant, c'est en fait tout le contraire.

Déjà, peu à peu les appréhensions se font moins fortes, sans pour autant avoir disparues,  au fur et à mesure que les diverses "anomalies techniques" ou autres "événements" n'arrivent. Ajoutez à cela les petites "calages" de conduite à effectuer et vous avez finalement des journées attrayantes, autant que ch...tes parfois quand se cumulent différents événements qui vous gâchent la vie.
Je parviens à présent à apprécier de plus en plus les "balades" lorsque tout roule bien.
Jours après jours, la concentration se transpose sur l'apprentissage plus en profondeur de la ligne, de son profile, des horaires.
Tout l'art réside dans la manière de jouer avec les vitesses référence (vitesse moyenne suffisante pour être à l'heure sans rouler au maximum) ou les Vitesses Limites (VL) afin de faire l'heure ou de rattraper quelques retards. Savoir peu à peu où il est vraiment judicieux de rouler "au trait" (si je roule à 2 km/h du trait c'est déjà pas mal ... le trait absolu on verra plus tard) en tenant compte bien évidement des conditions d'adhérence qui induisent directement des différences de comportement pendant les phase de freinage, de "décollage" ou encore lorsque l'on descend les pentes de fortes déclivité.
Mais il faut aussi savoir évaluer la pertinence de rouler plus fort que la vitesse référence afin d'arriver un poil en avance quand on sait que le train va décharger ou charger une quantité importante de voyageurs. Avec une Z 850 qui n'a que deux accès par cotés, des voyageurs bardés de leurs skis, bagages ou poussettes, cela peut vite vous mettre 1 ou 2 mn de retard ! Alors arriver à '14 au lieu de '16 ça peut facilement vous laisser "dans l'horaire" sur un temps d'arrêt prévu de 1 mn seulement !

Et on arrive au point crucial de ce long mois de janvier passé à conduire en majeur partie .... en pleine neige !
Vous en avez déjà eu des aperçus mais le fait est que l'enneigement est, cet hiver, quasi général sur l'ensemble de la ligne, du bas au Fayet en haut à Vallorcine. Ainsi, le spectacle est complet, exit l'alternance de conditions de conduite entre les deux extrémités de la ligne.
Et surtout, c'est l'ensemble de la Haute-Savoie et même une grande partie de Rhône-Alpes, à l'image du pays presque tout entier finalement, qui ont redécouvert les joies et les agacements de la neige qui n'était finalement pas si inhabituelle il y a quarante ans dans notre pays ... des habitudes se sont perdues, même dans les Alpes ou la fameuse limite pluie-neige s'est longtemps figée à 800 ou 900 mètre, mettant à genoux les petites stations de sport d'hiver familiales de moyenne montagne et nous permettant de jouer dehors avec nos cadeau de Noël habillés d'un simple pull ou n'ayant pour seule blancheur hivernale que le brouillard blafard encrassant les fonds de vallées.

A l'image de l'hiver dernier mais en bien moins froid cette fois, malgré un petit moment de redoux en plaine sur la fin janvier début février, le blanc était donc à l'unisson chaque jours.
De plus, la conduite pouvait se faire autant en pleine averse de neige que par grand beau temps, sur voie dégagée ou en pleine neige fraichement tombée. Et des fois plusieurs de ces conditions dans la même journée.

Pas une journée n'est pareille. Des fois ça passe, des fois ça patine, des fois ça s'arrête aussi. Le cas d'un jour où la neige arrivée en milieu de journée et la densité du trafic à ces heures n'ont pas permis d'engager le chasse-neige assez tôt, son intervention entre deux circulations commerciales devenant vite un casse-tête pour ne pas "tôler" un ou deux train au risque de désheurer toute la trame pendant plusieurs heures ... effet négatif du cadencement à flux tendu !
Parti d'Argentière sans garantie de parvenir à Montroc malgré deux trains déjà passés avant moi dans la matinée, la neige ayant entre-temps remis le couvert, mon UM de Z 850 n'a pas eu raison d'une rampe de 70/1000 calfeutrée sous la neige. Arrêt en pleine ligne, changement de cabine et demande de retour à la gare en arrière. une procédure spécifique sur notre ligne. Le plus folklo c'est quand il faut passer d'une automotrice à l'autre par l'extérieur, bien se souvenir de quel coté se trouve le troisième rail sous la neige, sauter dans la poudreuse en s'enfonçant jusqu'aux cuisses ... ça c'est du chemin de fer de montagne !

Mais la neige, si elle peut vite compliquer l'exploitation suivant sa consistance, est aussi source d'émerveillement et d'enchantement quand on avance aux commande de notre train.
Comme par exemple un matin ou pas moins de 20 cm de poudreuse avaient recouvert le bas de la vallée ... bien plus en haut. 1er train jusqu'à Argentière faisant "la trace" car le CN4 ne travaille que sur la partie haute au-delà de Chamonix.
Mon plaisir ... en plus d'être une action de surveillance prévue au règlement : regarder dans mes rétros pour observer les vagues et volutes de neige soulevées par le train sur ses flancs. A l'avant, les gerbes s'éjectent des étraves et jaillissent de part et d'autre à plusieurs mètres.
Arriver sur une voie déjà fraisée par le chasse-neige est presque une déception, même si c'est quand même mieux pour le service et le matériel. C'est vrai qu'ils nous font de belles piste de bobsleigh sculptées dans des 50 cm à 1 m de neige.
 

 

Arrivée de la Z 853 après avoir "fait la trace" entre St Gervais et

Chamonix dans 20 cm de neige fraiche.

                                                                                         "Attelages gelés        "A Chamonix, 7 h du matin,

                                                                                         entre deux Z 850."    la voie est presque invisible."

                                                                                       
  Neige légère et volante, ça monte toujours assez bien sans trop patiner. Cela devient même un plaisir, sans pour autant relever la vigilance sur les indicateurs du pupitre pour déceler une perte de captage, un patinage, un enrayage ou autre affres de la conduite sur neige.
Dans d'autres cas, conduire "sur" la neige se révèle tenir plus du pilotage, jouant des sablières et de l'antipatinage pour vaincre les cuchons de neige devant le train ou les "bouloches" glacées retombées sur les rails derrière le train précédant qui vous secouent la cabine dans tous les sens ... une sorte de joute dans la quelle le train chercher à garder le contact avec le rail coûte que coûte. Chaque mètre avancé est sous haute surveillance, les yeux naviguent en tous sens pour capter les moindres signes des manomètres, les voyants lumineux, les voltmètres aussi car demander de la puissance risque parfois de mettre à genoux la sous-station si vous avez une UM. Et quand en pleine rampe de 70 vous grimpez vos 34 km/h tranquillement alors que l'on frôle les 650 volts en ligne (au lieu de 850 V) ... vous serrez les fesses en souhaitant que la "sousta" n'éternue pas avant votre arrivée au sommet !!


Mais de temps en temps, quand ça roule bien, tout en gardant un oeil devant soit, l'observation s'élargie au-delà de la voie, elle même presque invisible, pour contempler en fin de nuit les imposantes montagnes se découpant sur le fond bleu nuit du ciel vaguement éclairé par une belle lune. C'est juste ... magique !!
En plein jour, les protubérances neigeuses fixées sur les arbres, fils et autres supports aériens forment une ambiance visuelle extraordinaire que l'on pourrait croire réservée aux aficionados des pistes de ski et autres randonneurs de haute-montagne ... on se croirait en Norvège ou une contrée de Scandinavie. Non, je suis bien en train de piloter un train à travers ce paysage nordique dans ses moindres recoins, fluorescent en pleine nuit, brillant de milles éclats lorsqu'il fait beau ou menaçant de ses grisailles tempétueuses et floconneuses.
                                       
"Beau temps sur la neige ...                                                  " Panorama extraordinaire en gare des Houches."
 

Viaduc Ste Marie."

             
"Ca roule en pleine tourmente comme ici aux Tines ...      ... ou pendant l'accalmie à Argentière."
   
             
"Et oui ... on roule là-dedans ... ça passe c'est sûr !!                   "Z 800 et Z 850 "barbes blanches" à Chamonix.

Les soirs de beau temps, la descente de Vallorcine offre selon l'heure, l'enchantement lumineux des Aiguilles Rouges qui prennent pendant quelques minutes l'aspect scintillant rubis qui justifie leur nom.
Difficile de décrire tant d'aspects aussi différents qu'il y a d'heures dans une journée et de types de lumières selon la météo .... tout en conduisant je vis chaque secondes de ce panorama que je n'arrive pas à vous restituer par de simples phrases. Derrière moi, les habitués de la ligne semblent parfois ne pas ou plus s'en émouvoir ... quelle tristesse !

Le froids vient aussi s'inviter dans les variantes de journées comme cet autre jour où certains départs de gare ne pouvaient se faire sans une petite marche arrière afin de "contrer" l'amassement de glace et de neige devant l'étrave du train et sous les roues.

A la faveur d'une coupure à Chamonix, j'ai aussi profité du beau temps pour renouer un peu avec le "trainspotting", chose que j'avais mis de coté depuis un moment. Bien m'en a pris avec un magnifique soleil baignant la vallée de Chamonix.

             
"Une Z 800 arrive d'Argentière aux Tines ...                                ... et la Z 851 arrive des Houches à Chamonix."
    
             
                                  "La Z 851 se faufile sur sa "piste de Bobsleigh" pour quitter Chamonix vers Vallorcine."


 

                "Une UM de Z 850 arrive de Vallorcine à Chamonix ... dont elle repart aussitôt vers Le Fayet."

 
 
"Une Z 850 prend sa vitesse vers           "Une Z 850 approche de                     "Une UM de Z 850 s'apprête à

Vallorcine."                                            Chamonix" coté Vallorcine"                     quitter Chamonix."

 
Et quand le climat ou la technique se portent bien, il faut aussi composer avec "braconnage ferroviaire" du coté des Houches où les Biches et parfois des Cerfs s'égarent sur les voies, obligeant au coup de frein brutal ou à ralentir pour regarder l'animal courir devant le train jusqu'à ce qu'il trouve un échappatoire favorable à sa sauvegarde. Eux et moi avons déjà deux fois évité le choc à quelques centimètres près ... ça serait quand même dommage car ce sont de beaux animaux que la faim fait prendre des risques en croisant notre chemin.

Voilà donc un véritable hiver qui stigmatise le sens symbolique du Mont-Blanc Express. Pour mes premières armes sur cette ligne, entre dépannages en ligne et conduite dans des conditions difficiles, on ne pouvait rêver mieux afin de s'immerger rapidement dans la vie de ce chemin de fer. Certes, mes premières anecdotes sont loin des histoires que les anciens nous racontent : "t'a le temps d'en voir d'autres" ai-je entendu plusieurs fois ... et je veux bien y croire !
Je ne suis pas encore resté bloqué deux heure à Vallorcine sans courant et 100 personnes dans le train, je n'ai pas encore arraché de troisième rail en pleine rampe ... pas encore de ces événement hauts en couleurs qui ont jalonné les 100 années du petit train du Mont-Blanc ... de quoi garder sous le coude bien des aventures.

Je tiens à terminer cet article par un hommage. Je veux saluer les gars d'la voie que je croise, pelles et racloirs dans les mains pour dégager les aiguilles et autres parties de voie sensibles. Dès que la neige se fait importante ils sont là, déneigeant  parfois deux fois le même aiguillage ou le même quai dans une journée. Moi, si je peu
rouler serein bien au chaud dans ma cabine c'est par-ce que eux sont au froids, ci et là en divers points de la ligne dès que le besoin s'en fait sentir. Leur travail est indispensable et leurs interventions sont un appuis important en complément du travail de dégrossissage fait par le CN4.

                   

"Pour chaque chute de neige, un nouveau déneigement des aiguillages, des quais et des diverses parties sensibles de voie."

Les équipes du chasse-neige sont eux aussi à mettre en avant, travaillant aux heures extrêmes et devant parfois attendre que le trafic régulier qui a pris court sans encombre grâce à eux ne les laisse rentrer au bercail ... ils ne savent pas toujours quand ils vont sortir (ou pas), ils ne savent pas toujours quand ils vont rentrer non plus !

                
"L'équipe du CN 4 attends que je soit parti d'Argentière pour me suivre après leur longue nuit de travail."

                 

"Le CN 4 nous croise aux Tines, laissant une voie "nickèle" pour rouler sereinement ... jusqu'aux prochaines chutes de neige."

A chaque fois que je passe devant tous ces "forts en bras" pour qui mon salut est en fait plus un signe de remerciement, je n'ai de cesse d'admirer leur travail et leur acharnement à la tâche pour que roulent dans de bonnes conditions les trains rouges et blancs du Mont-Blanc Express.


                           

Et retrouvez toutes les photos de cet article ainsi que l'ensemble de mes dernières prises de vues dans l'album du blog !
 



04/02/2010
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