2009.12.27 Une journée dans la tourmente blanche
Dans mon récit précédant, je vous parlais de ce que je considérais comme ma première conduite dans la « grande neige », à savoir lorsque la belle poudreuse enveloppe complètement la voie et que les étraves des automotrices ont enfin quelque chose à pousser.
Le lendemain 23 décembre, c'est une Z 800 qui m'attend à la voie F. La météo est peu engageante car le redoux est annoncé en montagne et la pluie a battu le pavé toute la nuit en plaine. Et là où la neige demeure, c'est en très grosse quantité qu'elle doit être attendue. L'autre soucis étant que le redoux apporte de la neige mouillée et très lourde qui porte sur les branches de sapins et forme des agglomérats sous les engins. Elle est aussi plus compacte et lourde à « pousser » dans les fortes rampes, formant même en cas d'apparition solaire des manchons glacés ou de belles patinoires sur les rails.
Je part donc un peu à l'aventure même si le pointu est parti devant moi et que j'aurais au moins un « lit » de voie déjà formé.
Malgré tout, dès la sortie de la montée Pélissier, la neige semble ne pas avoir si souffert du redoux de la plaine. Au viaduc Ste Marie et encore plus aux Houches, j'ai même l'impression que les sapins sont bien plus blancs que la veille. Au gré de la montée vers Chamonix les choses se confirment : la limite pluie-neige était finalement juste située au-dessous de Servoz et il faut donc s'attendre à une nouvelle couche sur celle de lundi matin ! D'ailleurs, à peine à Taconnaz l'usage de l'essuie vitre s'impose.
A Chamonix tout roule mais mon enthousiasme porte un peu à la baisse lorsque la mignonne Chef de Service me lance de sa voie fluette : « Sur le haut ça neige pas mal, votre copine (notre conductrice mascotte) a dû déneiger ».
Le décor étant planté, je me dis que finalement je vais enfin goûter aux joies de faire « chasse-neige », c'est à dire de pousser la neige tant que ça peut monter.
La traversée de la plaine des Praz se fait normalement mais la neige tombe déjà plus serrée. A peine reparti des Tines, le paysage change soudain du tout au tout et avant même de traverser l'Arve pour escalader le défilé de La Joux, la neige ici semble avoir submergé le paysage. Les précipitations sont plus près de la tourmente que de l'averse. Devant moi, malgré le passage d'un autre train quelques minutes plus tôt, les rails ne sont plus visibles et la couche blanche dépasse quasiment le troisième rail. Arrivée au sommet de la rampe de 70 j'ai soudain cette sensation d'être aux commandes d'un train de haute-montagne pas comme les autres.
De 35 km/h je passe à VL maxi de 50 km/h. Le train se faufile à présent sur le flanc de montagne et je traverse les galeries paravalanches que la neige a pénétré par brassage d'air. Quelle vision impressionnante que de rouler à pleine vitesse sur une voie devenue à présent invisible, ni rail, ni 3ème rail ! On croirait glisser sur la neige et l'atténuation des bruits de roulement est flagrante, surtout pour une Z 800.
A Argentière il y a du monde au déneigement des aiguilles et des quais. Devant moi la voie semble effacée et le niveau se confond avec le bord du quai débarrassé de sa neige. Je repars avec une petite appréhension car je dois à présent faire ma trace dans la neige fraîche ! J'accélère et effectivement les sensations de conduite sont très particulières.
Le jour se lève et la vue des massifs blanchâtres en ombre chinoise dans la grande courbe en 70/1000 autour d'Argentière est hallucinante. Malgré bien 15 ou 20 cm de poudreuse sur les rails ça monte tout seul. Le long des murs de soutènement le spectacle est total. Un nappage d'au moins 50 cm recouvre le sommet des murs de pierre qui sont eux même entièrement blanchis par la neige collante. J'avance désormais sur un tapis blanc uniforme tel au traîneau. Après Montroc où on est pas loin des 80 cm de neige cumulée, j'ai également cherché partout deux files rails pour avancer jusqu'au tunnel. Arrivé au portail Est de l'ouvrage je m'attends, à juste titre, à une plongée fantastique sur Vallorcine. Et je ne suis pas déçu du voyage lorsque passé l'éblouissement au débouché du tunnel, la pente de 80/1000 me projette dans un désert blanc où seule une fantomatique empreinte dans la neige semble guider le train …. Si ça c'est pas du chemin de fer !!!
Après l'arrêt aux Buets, une surprise m'attend. Devant moi toujours par de rails à l'horizon mais je me dis que ça ira aussi bien que pour la première partie de la descente. Que néni !!
Je met les gaz pour aller me caler à 30 / 32 km/h (vitesse 35 km/h contrôlé par Intégra). Mais au moment de repasser en freinage électrique, la vitesse tombe et m'oblige à reprendre la traction. Pour ne pas me faire attraper par le contrôle survitesse je réduis à nouveau les gaz mais là encore ça n'avance plus !! Finalement, il me faut accélérer quasiment à fond pendant toute la descente sur Vallorcine pour forcer le boudin de neige qui freine mon convoi et je n'ai même pas dépassé le 30 km/h sans avoir besoin à quelque moment que ce soit de freiner pour ne pas risquer l'excès de vitesse. On m'aurais dis ça un jour que j'aurais crié au mensonge !!
Malgré toute cela le retour vers Chamonix s'est très bien passé, tout en douceur dans la ouate hivernale. Je récupère ensuite la Z 852 que je garde toute la journée afin d'effectuer un service exclusivement « sur le haut », entre Chamonix et Vallorcine que l'on appel également les « navettes ».
"Deuxième passage à Montroc ... les guêtres sont de rigueur"
Le reste de la journée c'est passé un peu moins harmonieusement pour mon premier service par grande affluence, essentiellement des skieurs mais aussi beaucoup de voyageurs en balade dans la vallée entre France et Suisse. La fermeture du col des Montets et donc la mise en place de l'alternat train/voiture dans le tunnel aura eu raison de la régularité et de la sous-station de Vallorcine. Un fastidieux baptême de forts trafics d'hiver.
"Dernière navette pour Vallorcine alors qu'un convoi routier vient de se terminer dans le tunnel"
Voilà donc une autre journée formatrice même si épuisante et si au final la circulation sur voie enneigée n'aura pas été si difficile. Je tiens à saluer également ici la « zenitude » des très nombreux passagers malgré un glissement de presque 1 heure du plan de transport en milieu de journée. Tant que ça roulait et qu'ils pouvaient profiter de ce paysage polaire bien au chaud … c'est là que se situe la comparaison avec le « métro » dans lequel on monte quand il arrive sans se soucier de l'heure qu'il est …. le stress en moins et la bonne ambiance en plus.