Sur la voie du Mont-Blanc Express

2013.04.02 Dernier trains avant la grande coupure

Derniers jours de mars et premier jour d'avril. Cela n'a rien d'une blague mais c'est mon dernier jour de conduite des trains du Mont-Blanc Express.

Mais rassurez vous il ne s'agit que d'une trêve de trois mois. Voilà 12 semaine sans conduire qui vont marquer un moment important dans ma carrière pour diverses raisons ; l'occasion d'ouvrir les rétros et d'y regarder le chemins parcouru.

 

Je suis aux commandes du train 18933, le tout dernier train « commercial » a circuler entre St Gervais et Chamonix avant les grands travaux.

Arrivée à Chamonix, je suis invité à me raccorder sur la rame stationnée devant moi voie 1, chose. Chose inhabituelle car en temps normal cette rame couche à Chamonix. Mais demain matin aucun train au départ de Chamonix, il faut tout ramener à St Gervais. C'est donc en UM, que je me prépare à assurer l'ultime circulation 738480 pour acheminer à vide les rames au dépôt du Fayet.

Changement de bout, essais de freins et nous voilà prêts au départ avec ma sympathique contrôleuse et le conducteur de la rame récupérée.


 

Il s'agit d'un W, un train en matériel vide, sans arrêts fac, juste les arrêts en gares de croisement pour demander l'autorisation d'aller à la gare aval.

J'ai mon autorisation de départ. Je quitte Chamonix en laissant seule une Z 600 qui sera «  enfermée » ici pendant toute la durée des travaux.

 

Ce train W est pour nous un « petit » plaisir car on peut rouler avec un minimum d'arrêts, souvent « au trait », brûler certaines haltes à pleine vitesse là où d'habitude on ne fait que s'arrêter. La course se fait lumières éteintes dans la rame, comme un moment d'intimité avec le train, sans voyageurs bruyants et chahutant.

 

Déjà les derniers jours de conduite avaient un goût un peu amer, comme une appréhension de rester « figé» à pied bien plus longtemps que pour les trois semaines de vacances annuelles.

 

La météo de ces derniers jours, avec une neige qui semblait ne pas vouloir laisser place aux bourgeons, a encore bien accentué ce sentiment. Car le Mont-Blanc Express et la neige c'est un couple fascinant qui pimente nos journées de conduite.

Mais pour ces deux dernières journées, malgré le froids, c'est le soleil qui m'aura accompagné comme pour me faire apprécier encore plus le paysage magnifique que je ne verrais que très peu pendant 12 semaines.

 

Je roule donc vers le Fayet et comme si je conduisait pour la dernière fois, pas mal de souvenirs me reviennent. Je fait un petit bilan de ces trois années passées sur cette magnifique ligne.

Certes j'avais envisagé sur ce même blog de vous faire partager mon quotidien. Je ne dirais pas qu'il ne se passe jamais rien mais au final, les événements justifiant un récit n'étaient pas si nombreux à avoir quelque chose de vraiment intéressant ; un dépannage réussi, des coups de cravache pour rattraper des retards en cascade … finalement mon métier de tous les jours, presque une routine, mais jamais un jour pareil ne serais-ce déjà que par le panorama changeant traversé chaque jour.

 

C'est finalement au travers d'une actualité plus « formelle » que vous aurez pu suivre les moments forts de la ligne qui pouvaient avoir un intérêt dans leur contenu.

Mais cela n'enlève rien aux très nombreux petits moments, scènes de vie, instants fugaces cocasses ou d'inquiétude, quelques frayeurs, quelques colères, bonnes rencontres, événements mémorables et que sais-je encore, que j'ai pu vivre aux commandes des mes petits trains rouges et blancs.

 

Je quitte les Houches et roule à présent sur cette portions centenaire faite de vieux rail PLM A qui ne sont fixés aux traverses que par de simple tirefonds pinçant le patin de rail, une voie bien à l'ancienne. Je roule pour la dernière fois sur la « Corniche », cette partie de ligne suspendue au-dessus des à-piques des gorges de l'Arve, quelques mètres au-dessus de la Route-Blanche que nous dominons.

 

Et comme nous sommes sur W, on roule au taquet, proche des 50 km/h autorisés pour bien sentir une dernière fois tous ses défauts, ses soubresauts. Cette sensation de rouler dans une machine à laver sur l'essorage à 1400 tr/mn aura disparu à notre retour sur la Corniche. Fin juin 2013, la voie entre Servoz et Les Houches offrira un confort plus aseptisé et agréable mais manquera de ces vibrations bruyantes et vivantes qui faisaient un peu le charme de ce chemin de fer montagnard.

 

Rester trois mois sans conduire, sans se balader en pied du Mont-Blanc avec le transport écologique par excellence, ça fait quand même un petit pincement au cœur quand on aime bien son métier.

Sentiments mêlés, satisfaction de laisser la ligne subir enfin la régénération qu'elle mérite. Le plaisir n'en sera que meilleur pour tous lorsque nous reviendrons jusqu'à Chamonix avec cette fameuse « rampe de 80 » et la « Corniche » remis à neuf pour le confort des voyageurs, des contrôleurs et pour nous aussi conducteurs. Car même assis, devant nos pupitres de conduite cette portion relevait parfois du manège à sensations !

Mais aussi au-delà de Chamonix vers Argentière où j'ai déjà pu par chance constater déjà la qualité du travail accompli en terme de roulement des trains, lors d'une marche d'essais. Avec la découverte, si tout va bien, de la même qualité de traitement entre Argentière et Montroc, portion intergare entièrement refaite de A à Z.

 

Après un petit galop à 70 km/h en plaine de Chedde dans l'habituel fracas du roulement sur une voie elle aussi bien fatiguée, même en Z 850. A l'entrée du Fayet le PC Eclair m'accueille avec le carré fermé au C102. Après arrêt de reçoit l'autorisation de rentrer ma rame directement au dépôt puisque je n'ai pas de voyageurs, voie 15, comme d'habitude, sur la fosse.

Impossible d'échapper à cette sensation étrange de faire certains gestes pour la dernière fois, même si ce n'est que pour une durée finalement assez courte mais longue à la fois.


 

 

Mise en stationnement de la machine après le dernier échange avec le PC Eclair pour lui dire que je suis bien arrivé. J'appuie au passage sur le bouton d'annulation de maintien de service, la machine se tais d'un seul coup laissant le silence déferler sur les lieux.

 

Une fois la lumière de la cabine éteinte je sort et ferme la porte à clé.

Après quelques secondes, les feux rouges de la machine s'éteignent laissant définitivement la nuit prendre le relais.

 

Fin de la journée, fin de service, fin « temporaire » des circulations.

 

Mis à par les tâches de substitution qui me seront dévolues pendant cette période et bien entendue la formation pour apprendre le nouveau bloc automatique, j'ai bien l'intention de rester « au contact » de la ligne et de suivre au plus près l'avancement des travaux comme je l'ai fait déjà en 2012. Ainsi mes journées sans conduite resterons pour vous, chers lecteurs, des journées où j'aurais toujours quelque chose à raconter … jusqu'au 29 juin 2013.



02/04/2013
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